« La Vierge de Nuremberg » (1963) d'Antonio Margheriti avec Rossana Podesta (Mary Hunter), George Rivière (Max Hunter), Christopher Lee (Erich)
Le métrage s'inscrit dans la tradition du thriller gothique, dans la lignée de « Danse macabre » mais,contrairement à ce dernier fortement marqué par l'esprit du XIX, « La Vierge de Nuremberg », s'insère dans un cadre contemporain, d'autant que Margheriti a choisi, cette fois-ci, la couleur. Même si le métrage a un peu perdu la poésie de « Danse macabre », de nombreux éléments faisant le charme du gothique cinématographique sont au rendez-vous: une poignée de porte qui tourne et qui grince, un pan boisé de porte qui cède, une nuit d'orage et de pleine lune, passages secrets, arpèges menaçants...D'ailleurs, le maniement de ces derniers est particulièrement réussi et mis habilement au service d'un tempo à suspense. Ainsi, lorsque Mary émerge du sédatif qu'on lui a administré après qu'elle s'est évanouie, son époux devient suspect à nos yeux à force de chercher a priori à lui cacher une vérité que l'on pressent terrifiante. Lorsqu'il est sur le point de lui donner un autre sédatif et la prend dans ses bras, on voit qu'il tourne la tête et se dirige vers la porte: pile à ce moment-là, les arpèges crispés cessbrusquement et cèdent la place à une musique beaucoup plus tendre et glamour digne de celle des Hitchcocks baignés par une intrigue amoureuse, même si venimeuse. Quelques effets de gros plans subitement axés sur des crânes dans un vertige frissonnant – point de vue du personnage qui les voit – font mouche, notamment la première fois où Mary pénètre dans la salle de torture et voit un crâne humain dans une cage. Cet effet de gros plan vertigineux est d'ailleurs même employé lorsque Mary croit voir des choses qui en réalité sont inoffensives, augmentant ainsi notre capacité à sursauter au moindre indice qui pourrait nous mener sur la piste du justicier.
Le suspense est très bien ménagé, de nombreux événements inquiétants se succèdent et la confortent dans ses soupçons. Au premier plan, tout le personnel de maison est inquiétant, à commencer par la vieille domestique Martha au regard perçant et sombre, quasi animal, prédateur, dont les déclarations grouillent d'obscurs sous-entendus. Ainsi, lorsque celle-ci lui recommande de rester cloîtrée dans sa chambre - d'autant plus que son époux est absent -, ce conseil plonge Mary dans une panique quasi hystérique, la conduisant à s'enchaîner mentalement une tonne de questions: pourquoi rester absolument enfermée, qu'y-a-t-il dans cette obscure crypte? Mon époux n'est-il pas mêlé à ces disparitions étranges? L'intriguant gardien de musée au visage balafré, ent Erich, n'est pas en reste: la façon dont Max le présente à son épouse est propice au développement d'une atmosphère anxiogène (gros plans sur son visage à la fois impassible et dangereusement amical, voire terrifiant). De plus, il semble toujours présent suite aux apparitions du fameux justicier. En ce sens, la scène où Mary se dissimule dans la crypte accroupie dans l'obscurité, cachée par un cercueil, est particulièrement réussie; elle conduit à l'apparition ombrageuse du justicier qui, après avoir menacé Mary et s'être battu avec elle, s'enfuit, laissant tomber derrière lui une torche qu'il s'empresse de ramasser tout en épiant le moindre signe de vie dans la crypte. Son visage, à moitié éclairé dans l'obscurité, est terrifiant, tout autant que sa démarche, suspicieuse. Le personnage qui se révèle être un agent du FBI est énigmatique d'emblée lorsque le spectateur le perçoit depuis le manoir en train d'errer dans une partie du grand jardin de la demeure. Son air malicieux et en même temps trop amical attire rapidement les soupçons: drôle d'idée de vouloir absolument inspecter tous les grands manoirs du coin pour des recherches ! Progressivement, les indices s'accumulent et égarent tout autant. L'absence du mari est rapidement suspecte, encore plus lorsque Mary le voit, ainsi qu'Erich, en train de déplacer le corps d'une femme pour l'amener dans la crypte. De plus, le fait qu'il a la main blessée après la scène où le justicier avait tenté de transpercer la porte boisée et qu'elle lui avait blessé la main – qui dépassait de la grosse entaille qu'il avait faite dans la porte - à coup de couteau, semble confirmer que Max est le justicier. Mais cette hypothèse ne peut être que rejetée lorsque, dans la crypte, après le passage de justicier, Max se retrouve à terre, inerte. Au vu du discours rassurant qu'il tient à sa femme par la suite et de la petite conversation à mots couverts entre Martha et lui à propos d'une autre victime du justicier, le spectateur en vient à penser que Max n'est pas si pervers qu'on le pense mais, qu'en revanche, il protège le justicier pour une raison qui nous est encore obscure.
L'angoisse est de plus en plus perceptible, surtout à partir de la scène où Mary court dans le grand jardin: on se croirait dans une version gothique de la scène de Blanche-Neige où la peur de Blanche-Neige finit par se projeter sur les branchages, qui en deviennent mouvants, menaçants, comme s'ils observaient sournoisement le personnage en train de se perdre. La caméra se plaît à alterner les plans et à se concentrer sur le visage crispé de Mary, elle nous la montre de face, comme si l'on devait porter tout le fardeau encombrant de sa frayeur. En ce sens, il semble évident que Margheriti a recours à un sadisme appuyé qui fait froid dans le dos. L'usage de l'instrument de torture dit « Vierge de Nuremberg », cercueil de fer dont l'intérieur du couvercle comprend ici deux pointes pour mieux percer les yeux, en est l'exemplification même, alors que le supplice du rat est administré sadiquement à la jeune femme, après que le justicier a insisté sur le fait que cet ancien supplice avait injustement été interdit car jugé trop barbare à l'époque. Le spectateur voit de plein fouet le rat en train de manger littéralement le visage de la jeune femme en s'amusant à pénétrer dans l'orifice des narines. Paradoxalement, la force de cette scène ne réside pas dans un recours excessif à des trucages sanglants. La scène est portée par une mise en scène cruelle, serrée et inventive, la vision de la cage n'étant que ponctuelle et laissant en partie place, simultanément, à la frénésie de mouvements de Mary, qui tente de sauver la jeune femme, du moins de la débarrasser du rat alors que, à terre, la jeune femme crie puis gémit pour bientôt voir son souffle coupé. Evoquons une autre scène où, manifestement, Margheriti s'amuse à insister sur la peur des personnages, figés dans des situations visiblement insolubles mais dont on attend toujours une résolution acrobatique: la mise en place du piège ingénieusement tissé par le justicier dans la crypte pour faire périr Max est, par certains points, digne des gialli des années 70, avec ces plans serrés sur la main gantée de noir du justicier en train de tourner une manivelle conduisant à inonder la crypte dans un crépuscule qui devient inquiétant. Margheriti se plaît alors à alterner les plans montrant Max pris au piège et cherchant une issue dans tous les coins et recoins du mur et l'errance de plus en plus déstabilisante de Mary, qui cherche – comme elle l'avait convenu avec son époux – à quitter la demeure et à se réfugier à l'hôtel près de l'aéroport. Plus Max cherche à se « creuser » une issue, plus Mary et la bonne Trudy épuisent les possibles issues du manoir, rencontrant au passage la cadavre de Martha, dont le corps inerte nous est dévoilé dans une blancheur macabre avec des yeux larmoyants de sang, renvoyant ainsi astucieusement aux yeux cloutés de la jeune femme dans la « Vierge de Nuremberg ». La pureté et le sang: assurément deux des credo de Margheriti dans sa manière de nous aveugler de frissons.
Les vingt dernières minutes du film précipitent les événements dans un final plutôt baroque: tout d'abord la délivrance tant attendue de Max, - dont le spectateur doute jusqu'au bout – qui, après une tentative aventureuse de plongée, perce une sortie qui donne sur l'extérieur, la mort de Trudy, perçue subitement à terre dans la salle de torture dans son habit noir. Là encore, la caméra adopte le point de vue crispé de Mary en nous montrant tout d'abord au premier plan les jambes de la bonne dans une lumière éblouissante, puis elle progresse en nous révélant un visage livide sans vie. Margheriti emploie un peu le même procédé – ces déplacements habiles de caméra figés dans leur mouvance - en nous faisant valser, dans la salle de torture, entre des visions de la statue du justicier à terre et des visions du vrai justicier, que l'on perçoit de dos lorsqu'il se bat avec Mary et finit par l'enfermer dans la Vierge. Coup de théâtre – même si un peu prévisible-, Max accourt pour sauver sa femme des griffes du justicier, qui s'avère être son père. Enfin, notons que la révélation de l'origine diabolique des sévices causés par le justicier, perpétrés à l'époque hitlérienne, semble employer des images d'archive car en noir et blanc, ce qui contraste d'autant plus avec la vision du père en contre-plongée prêt à tuer, sorte de cadavre ancestral vivant tortionnaire. De plus, autre revirement avec cet Erich subitement en larmes lorsqu'il apprend que son maître est pris par l'incendie et manque de périr d'une seconde à l'autre. La toute fin montrant Mary dans les bras de son mari sur un fond musical de nouveau hitchcockien est plus sereine et contraste avec la fulgurance des scènes qui ont précédé, confirmant que cette « Vierge de Nuremberg » est un film plutôt expérimental dont les grandes forces sont les effets de contraste – avec leurs alternances de tempo – et la gestion à la fois sadique et pudique de l'horrifique, incluse dans une atmosphère hypnotique assaisonnée d'une grosse pincée d'esthétisme et une pointe de glamour où le doute est roi. Véritable illusionniste, Margheriti tisse de multiples toiles qui intriguent par leur foisonnement et leur finesse. Au spectateur de bien s'y agripper.