J’ai
pas vu passer le temps,
je
veux dire passer comme passent
les
cigognes au printemps
quand
elles volent vers l’Alsace
ou
comme passent en sifflant
les
missiles dans l’espace.
des
choses, des bêtes et des gens
à
des vitesses différentes
libellules
sur l’étang, café dans la tasse,
coureurs
de marathon, étoiles filantes,
lévriers,
colimaçons et bien sûr j’en passe
mais
j’ai pas vu passer le temps
comme
défilent devant généraux,
rois
et présidents,
canons
et chars d’assaut
grands
pourvoyeurs de morts
dont
la nature du chargement
règle
au temps son sort
J’ai pas vu non plus passer le temps
d’aimer, sentir et voir
éclair
fulgurant jaillissant d’un miroir
prenant
le ciel de nos vies pour cible
gommant
du passé les images
ne
laissant que trous dans nos mémoires
et
rides sur nos visages.
J’ai pas vu davantage passer
le
bon temps du pain blanc qu’on mange le premier
ni
celui, fugace, des cerises et du muguet.
J’ai par contre un peu mieux vu s’étirer
sans
doute parce que plus aigre
et
dur à avaler
le
temps des vaches maigres
à
mettre en balance avec celui de chien qu’il faisait
à
certains moments dans mon existence
Malgré mon attention
j’ai
encore moins vu passer le temps
tout
en nuances
des
joies, plaisirs, désirs et passions
ni
même celui des espérances
réputé
pourtant beaucoup plus long…
Pas pris non plus le temps
d’attendre afin de contempler
d’écouter
pour mieux s’entendre
de
longuement réfléchir après penser
pour
enfin savoir et comprendre
où
ce temps révolu est passé.
Car il me manque du temps
dans
les comptes que je fais
du
temps qui m’apparaît perdu
et
que je voudrais bien rattraper !
Mais comment pourrais-je rattraper
ce
que je n’ai jamais vu ni senti passer ?
Je
ne peux donc l’avoir perdu
c’est
plutôt lui qui m’a égaré !
Dire
qu’il est beau, sale, mauvais ou vilain
selon
vent, soleil ou pluie
c’est parler de lui
comme s’il était humain.
Alors, puisqu’il en
est ainsi,
on devrait pouvoir, à son passage,
l’interpeller ou par surprise l’agripper
juste pour voir comment il est fait
et pendant quelques instants lui parler,
par
exemple lui demander, selon l’usage,
d’où
vient-il ? dans l’espace va t-il plus vite ?
qui
l’a inventé ? quel est son âge ?
est-ce
de toute éternité qu’il existe ?
pourquoi
dans nos vies change t-il de couleurs
passant
du clair au sombre selon son humeur ?
Confondant
vivre et exister
certains
êtres qui s’ennuient
essaient
en vain de le tuer
comme
un mortel ennemi…
voudra
t-il s’en expliquer ?
En
le laissant passer longtemps
il
arrange paraît-il bien les choses
les
choses peut-être mais pas les gens !
Et
on ne peut pas dire non plus
qu’il
soit très complaisant
si on en juge par les ravages qu’il cause
sur
les corps au fil du rasoir des ans.
Admettra
t-il aussi qu’il exagère vis à vis de la vieillesse
puisqu’il
accélère avec elle constamment sa vitesse…
Cessant enfin de discuter, tenter avec lui
d’aboutir
à
quelque chose de concret
quitte
à le supplier pour obtenir,
faveur
suprême dont il ne pourrait déroger,
pour
ceux que j’aime et ceux qui m’aiment,
et
bien entendu pour moi-même,
qu’à
défaut de s’arrêter il puisse au moins ralentir.
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