Odyssée
végétale
Une
graine de pin, attendant pour germer
l’arrivée
du printemps,
fut
emportée contre son gré
par
une rafale de vent
et
brutalement déposée entre deux blocs de grès.
Dans
cet espace réduit,
quelques
feuilles d’arbres voisins
étalées
sur une couche de sable fin
lui
servaient de lit.
Une
chance sur mille d’éclore
et
voir un jour la lumière,
si
la Nature est d’accord,
lui
avait dit sa mère.
Le
soleil offrant sa chaleur,
les
nuages leur eau,
aucun
prédateur
venu
la picorer dans son berceau,
il
était temps pour elle
de
prendre de l’ampleur
et
monter vers le ciel.
Ses
racines creusèrent
remontant
les minéraux
essentiels
à sa vie.
L’eau
pompée devenant sève
nourrissait
ses vaisseaux
et
le manège tournait sans trêve.
Baptisé
Sylvestre par un sapin,
un
bouleau et un châtaigner,
résolus
à prendre soin
du
masculin nouveau-né,
le
frêle petit pin,
heureux
d’être ainsi protégé,
espérait
devenir comme eux,
géant
de la forêt.
Il
avait de quoi exulter et se réjouir
sauf
qu’il ne savait pas que la dalle de grès marbré,
sur
laquelle il espérait grandir,
surplombait
de six coudées le sol nourricier.
Dans
de telles conditions, impossible de vivre
croyait
le nouvel arrivant.
Seul
juge de la situation,
le
destin en décida autrement
et
ordonna au récalcitrant
de
rester là, quitte à survivre seulement,
que
ça lui plaise ou non !
Sur
ordre du jeune maître,
les
racines étaient prêtes,
à
descendre jusqu’au centre de la terre,
et
même plus loin s’il le fallait,
pour
ramener la nourriture
dont
cette délicate création avait besoin.
Brisures,
fentes, failles, la moindre rupture,
elles
s’infiltraient partout avec entrain
ne
laissant sur sa faim la plus petite nervure.
Les
saisons se succédaient
sans
accrocs ni dommages
et
le bambin du passé,
mûrissant
avec l’âge,
était
devenu un bel arbre vert
supportant
sans difficulté
Étés
torrides, violents orages et durs hivers.
Après
vingt ans d’existence
il
avait pris de la hauteur,
de
l’envergure et une vigueur
qui
augmentaient chaque année,
ce
qui, cet âge dépassé,
n’est
pas le cas chez les humains
sauf
pour la suffisance
et
l’embonpoint.
Défavorisé
par son lieu de naissance,
Lepin
Sylvestre, nom désormais acquis
le
distinguant d’autres essences,
s’en
était apparemment bien sorti.
Mais,
lorsqu’il s’agit de mort ou de vie,
c’est
la Nature qui dicte sa loi
sans
que les concernés donnent leur avis.
Or,
depuis quelques mois,
les
racines n’avaient plus la même aisance
pour
avancer, excaver
puis
remonter la pitance.
Elles
avaient rudement forci
depuis
leur émergence
et
elles réalisaient que le rocher,
de
par sa structure,
n’était
pas disposé
à
élargir ses fissures pour les laisser passer.
Observant
ses congénères,
tous
en bonne santé,
Lepin
Sylvestre comprit
que
son système racinaire,
pris
dans le piège de l’obstruction,
mettrait
un terme à son évolution.
Il
devait désormais s’attendre
à
disparaître prématurément.
Ce
n’était qu’une question de temps :
soit
un long dépérissement,
soit
de tragiques circonstances
qui
l’obligeraient à s’étendre
en
douceur ou avec violence.
Impossible
de présumer
que
son volume et son poids
causeraient
son trépas.
Planté
sur un socle nu,
ses
ancrages étant trop loin,
et
surtout trop ténus
pour
maintenir sa tête dans les étoiles,
il
fut arraché de son piédestal
par
la furieuse tempête
qui
lui tomba dessus.
Un
sinistre craquement
résonna
dans la forêt
et
fit trembler la terre.
Étendu
au milieu d’arbres amis,
qui
l’avait vu naître et s’épanouir,
il
resta vert quelque temps,
supportant
sans gémir
une
longue agonie
puis
se désagrégea lentement.
La Nature reprenait sa vie.
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