vendredi 27 septembre 2019

Odyssée végétale de Louis Chaput


Odyssée végétale

Une graine de pin, attendant pour germer
l’arrivée du printemps,
fut emportée contre son gré
par une rafale de vent
et brutalement déposée entre deux blocs de grès.

Dans cet espace réduit,
quelques feuilles d’arbres voisins
étalées sur une couche de sable fin
lui servaient de lit.

Une chance sur mille d’éclore
et voir un jour la lumière,
si la Nature est d’accord,
lui avait dit sa mère.

Le soleil offrant sa chaleur,
les nuages leur eau,
aucun prédateur
venu la picorer dans son berceau,
il était temps pour elle
de prendre de l’ampleur
et monter vers le ciel.

Ses racines creusèrent
remontant les minéraux
essentiels à sa vie.
L’eau pompée devenant sève
nourrissait ses vaisseaux
et le manège tournait sans trêve.

Baptisé Sylvestre par un sapin,
un bouleau et un châtaigner,
résolus à prendre soin
du masculin nouveau-né,
le frêle petit pin,
heureux d’être ainsi protégé,
espérait devenir comme eux,
géant de la forêt.

Il avait de quoi exulter et se réjouir
sauf qu’il ne savait pas que la dalle de grès marbré,
sur laquelle il espérait grandir,
surplombait de six coudées le sol nourricier.
Dans de telles conditions, impossible de vivre
croyait le nouvel arrivant.

Seul juge de la situation,
le destin en décida autrement
et ordonna au récalcitrant
de rester là, quitte à survivre seulement,
que ça lui plaise ou non !
Sur ordre du jeune maître,
les racines étaient prêtes,
à descendre jusqu’au centre de la terre,
et même plus loin s’il le fallait,
pour ramener la nourriture
dont cette délicate création avait besoin.
Brisures, fentes, failles, la moindre rupture,
elles s’infiltraient partout avec entrain
ne laissant sur sa faim la plus petite nervure.

Les saisons se succédaient
sans accrocs ni dommages
et le bambin du passé,
mûrissant avec l’âge,
était devenu un bel arbre vert
supportant sans difficulté
Étés torrides, violents orages et durs hivers.

Après vingt ans d’existence
il avait pris de la hauteur,
de l’envergure et une vigueur
qui augmentaient chaque année,
ce qui, cet âge dépassé,
n’est pas le cas chez les humains
sauf pour la suffisance
et l’embonpoint.

Défavorisé par son lieu de naissance,
Lepin Sylvestre, nom désormais acquis
le distinguant d’autres essences,
s’en était apparemment bien sorti.

Mais, lorsqu’il s’agit de mort ou de vie,
c’est la Nature qui dicte sa loi
sans que les concernés donnent leur avis.
Or, depuis quelques mois,
les racines n’avaient plus la même aisance
pour avancer, excaver
puis remonter la pitance.

Elles avaient rudement forci
depuis leur émergence 
et elles réalisaient que le rocher,
de par sa structure,
n’était pas disposé
à élargir ses fissures pour les laisser passer.


Observant ses congénères,
tous en bonne santé,
Lepin Sylvestre comprit
que son système racinaire,
pris dans le piège de l’obstruction,
mettrait un terme à son évolution.

Il devait désormais s’attendre
à disparaître prématurément.
Ce n’était qu’une question de temps :
soit un long dépérissement,
soit de tragiques circonstances
qui l’obligeraient à s’étendre
en douceur ou avec violence.

Impossible de présumer
que son volume et son poids
causeraient son trépas.
Planté sur un socle nu,
ses ancrages étant trop loin,
et surtout trop ténus
pour maintenir sa tête dans les étoiles,
il fut arraché de son piédestal
par la furieuse tempête
qui lui tomba dessus.
Un sinistre craquement
résonna dans la forêt
et fit trembler la terre.

Étendu au milieu d’arbres amis,
qui l’avait vu naître et s’épanouir,
il resta vert quelque temps,
supportant sans gémir
une longue agonie
puis se désagrégea lentement.
La Nature reprenait sa vie.

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